De l'industrie aux transports, les projets décarbonés se multiplient

De l'industrie aux transports, les projets décarbonés se multiplient

Sur fond de reprise économique mondiale et d’urgence climatique, la filière hydrogène connaît en 2021 une effervescence inédite. Entre annonces de levée de fonds et soutiens accrus des pouvoirs publics, les inaugurations de sites exploitant ce vecteur énergétique se multiplient à travers le monde. Un véritable bouleversement des chaînes de valeurs de tous les secteurs dans lesquels il est utilisé. Mobilité, énergies renouvelables, chimie, industrie : tour d’horizon des secteurs concernés à travers des projets concrets.

« Dans le passé, l’hydrogène décarboné a donné lieu à des faux départs. Cette fois, nous voyons de réjouissants progrès », s’est réjoui Fatih Birol, directeur exécutif de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) à l’occasion du lancement de son dernier rapport Global Hydrogen Review1. Si l’AIE n’évince pas la problématique du coût de cet hydrogène vert – actuellement trois fois plus cher à produire que son équivalent gris2 – le marché évolue incontestablement dans la bonne direction. En cinq ans, les capacités en électrolyseurs, qui permettent d’extraire l’hydrogène de l’eau via l’électricité, ont doublé au niveau mondial. Entre janvier 2019 et mi-2021, en dépit des bouleversements liés à la pandémie de Covid-19, les entreprises spécialisées dans la production, distribution et usage de l’hydrogène ont levé près de 9,5 milliards d’euros en fonds propres1. Parallèlement à cette hausse inédite des financements, de nombreux projets se sont concrétisés au niveau mondial dans différents secteurs.

Mobilité: le rythme s’accélère

Responsable avant la crise sanitaire de près de 25 % des émissions de gaz à effet de serre au niveau mondial1, le secteur des transports fait figure de priorité pour atteindre les objectifs climatiques internationaux. Or, l’utilisation de l’hydrogène comme alternative aux carburants fossiles est marquée par de fortes disparités.

« En Asie, les projets sur la mobilité sont beaucoup plus avancés, et les constructeurs automobiles ont un niveau de maturité plus important, avec des projets commerciaux », relève Charlotte de Lorgeril, associée chez Sia Partners et responsable de l’équipe Énergie, Utilities et Environnement. Précurseur, le Japon a ainsi commercialisé la première voiture à hydrogène destinée au grand public dès 2008. Près de 5 600 véhicules à pile à combustible y étaient en circulation en avril 2021, sur un total de 40 000 dans le monde. Une première étape : le pays s’est fixé un objectif de 200 000 véhicules en 2025. Pour fournir l’hydrogène propre adapté à ces ambitions, des investissements d’ampleur sont réalisés. C’est le sens de l’inauguration en 2020 par Toshiba, à Fukushima, d’une unité de production d’hydrogène alimentée par des énergies renouvelables d’une puissance électrique de 10 mégawatts.

Le niveau de maturité est moindre en Europe. « On est plutôt sur des projets de démonstration, ce qui montre tout l’enjeu des financements publics, qui suscitent des changements d’échelle et permettent de passer à un stade plus industriel et commercial », précise Charlotte de Lorgeril. Exemple : en septembre, l’entreprise française Lhyfe a inauguré en Vendée un site de production d’hydrogène directement connecté à des éoliennes situées à proximité. Dans un premier temps, le site produira 300 kg d’hydrogène par jour, avant d’atteindre, à terme, une production quotidienne d’une tonne. Cet hydrogène vert fournira un carburant propre à des véhicules lourds (bus, bennes à ordures ménagères) des départements voisins.

Les secteurs aériens, ferroviaires et maritimes en mutation

Le secteur aérien entend également bénéficier d’innovations liées à l’hydrogène, et pas uniquement par l’utilisation de moteurs hybrides, encore au stade expérimental. Ainsi, la première usine au monde produisant du kérosène neutre en carbone à l’échelle industrielle a été inaugurée en Allemagne fin septembre 2021. Ce kérosène « vert » (ou e-kérosène) porté par l’ONG allemande Atmosfair est un véritable exemple de l’économie circulaire appliquée à l’hydrogène : d’une part, il est produit par électrolyse, et d’autre part, du CO2 capté dans l’atmosphère est recombiné, créant un carburant de synthèse proche du kérosène d’aviation.

Le ferroviaire a également entamé sa transition, puisque des trains à l’hydrogène conçus par Alstom roulent déjà en Allemagne, ainsi qu’en Autriche et aux Pays-Bas, avec une traction sans émission de gaz à effet de serre. Au printemps 2021, la SNCF a officialisé sa première commande de trains en version bi-mode (caténaire-hydrogène) pouvant transporter 220 passagers à 160 km/h, avec une autonomie de 600 kilomètres3. Quatre régions françaises seront équipées dès 2023 de cette technologie remplaçant les moteurs diesels par des piles à combustible, réservoirs d’hydrogène et batteries.

Enfin, le secteur maritime, n’est pas en reste. Les ambitions de certains des plus gros acteurs du secteur permettent d’envisager une véritable réduction de la pollution engendrée par le secteur, à l’origine aujourd’hui de 2,9 % des émissions de gaz à effet de serre dans le monde. Parmi ceux-ci, le leader danois Maersk a notamment annoncé la mise en eaux en 2023 d’un porte-conteneurs zéro-émission entièrement propulsé au méthanol vert de synthèse ; plus ambitieux encore, l’entreprise vise la neutralité carbone de l’intégralité de sa flotte d’ici à 2050.

La valorisation de l’électricité verte

Autre application à fort potentiel de l’hydrogène : la conversion d’électricité en gaz (power-to-gas), qui permet de valoriser de l’énergie issue de sources renouvelables intermittentes. Stockée sous forme d’hydrogène, cette électricité peut être restituée grâce à une pile à combustible lorsque les consommateurs en ont besoin. En septembre 2021, la construction de la première centrale électrique au monde à hydrogène vert produisant une énergie non intermittente a débuté en Guyane4. Implantée dans une zone non interconnectée (ZNI), soit un territoire français non relié au réseau électrique métropolitain continental, « cette centrale électrique innovante assurera un approvisionnement toute l’année, de jour comme de nuit, à 10 000 foyers guyanais », explique Charlotte de Lorgeril, qui est convaincue du potentiel du power-to-gas hydrogène. Le porteur de ce projet, Hydrogène de France Energy, a levé plus de 130 millions d’euros en Bourse à l’été 2021.

Un pôle de l’hydrogène à la place d’une centrale à charbon

Enfin, les usages industriels de l’hydrogène vert s’accélèrent également, et en particulier dans les secteurs de la chimie et de la sidérurgie. Comptant parmi les matières de base de l’industrie chimique et pétrochimique, l’utilisation massive d’hydrogène vert permettra une véritable décarbonation des processus de production de ces secteurs, traditionnellement très polluants. On peut notamment citer la production d’ammoniac, un dérivé azoté de l’hydrogène, utilisé pour les engrais agricoles. Du côté de la sidérurgie, en Suède comme en France, des projets de sites produisant de l’acier bas carbone grâce à l’hydrogène vert ont été annoncés, à l’image de la future unité de production à Dunkerque, fruit d’un partenariat entre Air Liquide et ArcelorMittal. Cette indispensable adaptation des secteurs industriels polluants se traduit par la réorganisation de sites de production : en Allemagne, la cité portuaire de Hambourg a annoncé pour 2025 un ambitieux « pôle européen de l’hydrogène », doté de l’un des plus gros électrolyseurs du monde, en lieu et place d’une ancienne centrale à charbon.

Industrie, électricité, transport… La multiplication de ces projets hydrogène à travers la planète révèle évidemment « des enjeux de souveraineté et d’indépendance face aux pays exportateurs de gaz et pétrole », selon Charlotte de Lorgeril. « Toute la géopolitique de l’énergie peut être vue sous un autre angle, avec un déplacement possible des pouvoirs vers les acteurs de l’hydrogène ». A la clé, une bataille stratégique aux enjeux multiples, qui a, tout de même, un bénéficiaire commun : la planète.

Notes —
1. IEA, Global Hydrogen Review 2021
2. https://www.lemondedelenergie.com/hydrogene-vert-bientot-competitif/2021/02/03/
3. https://www.sncf.com/fr/engagements/enjeux-rse/sncf-accelere-train-a-hydrogene
4. https://www.ceog.fr/

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