Quand l’intelligence artificielle façonne l’avenir

Quand l’intelligence artificielle façonne l’avenir

Apprendre, percevoir, comprendre, raisonner, prendre des décisions, anticiper… autant de facultés qui semblent être l’apanage d’un cerveau. Pourtant, c’est ce que prétendent pouvoir accomplir les systèmes informatiques que l’on regroupe sous le terme d’intelligence artificielle (IA). Derrière ce terme générique, tout un panel de systèmes variés se déploie, allant d’un niveau de complexité plus ou moins élevé. Une chose est certaine, ses applications sont en train de révolutionner quasiment tous les secteurs de nos sociétés, mais aussi de nos économies.

L’intelligence artificielle est la grande tendance à laquelle plus personne n’échappe. Outre les grands titres des médias, ces systèmes intelligents représentent un secteur en pleine explosion : d’une valeur de 86,9 milliards de dollars en 2022, le marché de l’IA devrait atteindre 407 milliards en 2027[1]. Une tendance économique forte, certes, mais aussi une révolution technologique dont les répercussions devraient égaler, voire surpasser celles d’Internet en son temps. En effet, peu de secteurs ne seront pas concernés par une forme ou une autre d’IA. Pourquoi ? Peut-être tout simplement parce qu’elle répond à des besoins de nos sociétés et de nos économies.

Machine learning et deep learning : quand la machine apprend

Prenons le secteur de la santé. Depuis plusieurs années, c’est un domaine privilégié du développement de l’IA grâce à sa faculté à intégrer, gérer, mettre en rapport, analyser d’immenses volumes de data, liées par exemple à la littérature médicale ou aux données de santé. Dès le début des années 2010, l’IA Watson d’IBM fait ainsi son entrée au Memorial Sloan Kettering Cancer Center de New York en tant qu’aide au diagnostic pour les patients atteints d’un cancer[2]. Faute d’une technologie alors suffisamment aboutie, l’expérience s’avèrera un échec. Mais les progrès ont dès lors été fulgurants : le centre de recherche de l’Institut Curie a, par exemple, développé un algorithme d’IA capable d’identifier des tumeurs cancéreuses d’origine inconnue[3]. Et progressivement, l’IA se fait une place auprès des professionnels de santé pour des tâches telles que l’analyse de dossiers médicaux, l’aide au diagnostic ou encore la recherche clinique. Le développement du machine learning (apprentissage automatique) et du deep learning (apprentissage profond), soit la capacité d’apprentissage automatique d’une IA, et de la reconnaissance d’images vont encore permettre d’accélérer dans ces domaines, dans les années à venir. De même, le recours à l’IA va faciliter aussi bien le développement de nouvelles molécules thérapeutiques par l’industrie pharmaceutiques que le développement de la médecine personnalisée ou du suivi des patients.

Les capacités d’apprentissage – et d’anticipation à partir des données et de scénarios – de l’IA grâce au machine et au deep learning pourraient par ailleurs intensifier son usage dans le secteur financier. Analyse des risques et des tendances de marché, identification de comportements ou de transactions potentiellement frauduleuses… les applications sont multiples, mais pas sans risque, comme le note par exemple l’OCDE : « L’utilisation des mêmes modèles ou ensembles de données peut entraîner une convergence et un comportement de groupe, augmentant la volatilité et amplifiant les pénuries de liquidité en période de stress sur les marchés. [4]»

Robots conversationnels et IA génératives repensent la communication et la création

Le succès fulgurant de ChatGPT – qui, en février 2023, soit deux mois après son ouverture au grand public, affichait plus de 100 millions d’utilisateurs actifs – a illustré le pouvoir d’attraction d’une autre branche de l’IA : les robots conversationnels, ou chatbot, et tout particulièrement – ceux qui intègrent des capacités d’apprentissage automatique, comme c’est le cas de ChatGPT. Ces formes d’IA ont déjà changé la donne dans de nombreux secteurs. Les chatbot sont ainsi présents sur de nombreux sites pour guider, accompagner, répondre aux questions des utilisateurs. L’enseigne de grande distribution française Carrefour a ainsi lancé Hopla, un chatbot basé sur la technologie d’OpenIA[5] et utilisé pour aider les particuliers à optimiser leurs courses, avec de multiples fonctionnalités : élaboration de paniers de produits, avec un budget délimité, pour un nombre de personnes déterminé, le tout agrémenté d’idées de recettes. Encore au stade de prototype, cette application pourrait transformer le secteur : « c’est indiscutablement le début d’une révolution et d’une transformation de nos métiers, de nos organisations, de la façon dont on parle à nos clients » affirmait Alexandre Bompard, PDG du Groupe Carrefour, dans une interview pour BFM Business.  Cette utilisation technologique a de quoi révolutionner les parcours client au fur et à mesure que ces IA gagnent en pertinence et en adaptabilité. Ces facultés en font par ailleurs un outil prometteur dans le secteur de l’éducation. « L’apprentissage adaptatif de l’IA peut rapidement identifier les difficultés d’un élève et lui fournir un soutien plus important ou différent pour l’aider. Lorsque l’élève montre qu’il maîtrise le contenu ou la compétence, l’IA lui propose des tâches et des supports plus difficiles pour le stimuler davantage », analyse le World Economic Forum dans une réflexion sur les usages de l’IA pour améliorer ou repenser l’apprentissage[6].

Par ailleurs, une récente étude américaine démontrait que 30 % des étudiants interrogés avaient déjà utilisé ChatGPT pour rédiger leurs dissertations[7]. Ce qui laisse entrevoir le potentiel de l’IA générative, capable de produire de nouvelles données ou de créer, grâce à l’apprentissage automatique. Des programmes d’IA générative, comme Midjourney ou DALL-E, rendent possible la création de musique, de texte, d’image, etc. De quoi offrir un nouvel horizon à la créativité, mais aussi de quoi susciter de nombreuses interrogations, ne serait-ce que sur la question du respect de la propriété intellectuelle, ou encore sur la réalité et la véracité des contenus générées[8].

L’automatisation augmentée par l’IA

Parmi les nombreux domaines d’application de l’IA, l’automatisation augmentée par les systèmes intelligents gagne en performance et en domaines d’utilisation. C’est le cas de l’industrie, qui est depuis longtemps familière de l’automatisation, de la robotisation, ou encore de la vision industrielle, et qui accélère grâce à un usage de plus en plus répandu de systèmes intelligents qui permettent aux robots d’être non seulement plus performants et adaptables, mais également de travailler en réelle collaboration avec des humains. De quoi, par exemple, réduire significativement la pénibilité ou la répétitivité de certaines tâches, tout en gagnant en performance et en agilité.

L’application des systèmes intelligents au secteur de la mobilité est un des domaines d’application les plus connus et avancés. Si les véhicules complètement autonomes ne sont pas encore devenus une réalité quotidienne, la plupart des moyens de transport intègrent désormais des applications intelligentes qui permettent de sécuriser et de faciliter les déplacements ou d’optimiser la consommation d’énergie.

Encadrer et réguler

Reste que le développement des différents types d’IA soulève de très nombreuses interrogations, voire suscite des oppositions. Pour reprendre l’exemple de ChatGPT, en février 2023, l’Italie interdisait temporairement le chatbot le temps de vérifier que l’utilisation des données personnelles des utilisateurs respectait bien le règlement général sur la protection des données (RGPD) – interdiction levée fin avril dernier[9]. Au-delà de la question de la collecte et de l’usage des données, qui est un enjeu transverse à toutes les applications d’IA, ces systèmes intelligents posent une myriade de questions d’ordre éthique (concernant par exemple, le transhumanisme), social ou juridique ; qui est, par exemple, pénalement responsable si une IA tue ou blesse un être humain, volontairement ou involontairement ?

La question est loin d’être anecdotique alors que la défense est en pointe en matière d’utilisation de l’IA. Que l’on parle de simulation, de drones intelligents, de systèmes d’analyse, de cyberdéfense, voire de robots combattants, les domaines d’applications sont nombreux, et engendrent d’importants investissements. En février dernier, dans le cadre des négociations budgétaires américaines, le Pentagone demandait 1,8 milliard de dollars pour développer l’IA au sein de l’armée américaine[10]. Et en juin 2022, l’OTAN annonçait un fonds d’investissement d’un milliard de dollars destiné à soutenir des startups qui développent des technologies « prioritaires » telles que l’intelligence artificielle, la data et l’automatisation[11].

En parallèle, les appels et les propositions de régulation de l’usage de l’IA et des systèmes autonomes se multiplient dans tous les secteurs, et tout particulièrement dans celui de la défense. Le département d’État américain proposait ainsi, en février dernier, un ensemble de principes destinés à encadrer un usage militaire responsable de l’IA : « L’utilisation militaire des capacités d’IA doit être responsable, notamment par le respect, dans le cadre d’une opération militaire, d’une chaîne humaine de commandement et de contrôle. Une approche fondée sur des principes de l’utilisation militaire de l’IA devrait inclure un examen minutieux des risques et des avantages, et devrait également minimiser les risques et les accidents involontaires.[12] »

Transformer et accompagner

Quels que soient les défis auxquels est confronté l’IA, le constat est unanime : tous les secteurs, toutes les activités vont être touchées par son déploiement. Et en premier lieu le monde du travail. L’IA va-t-elle créer plus d’emplois qu’elle ne va en détruire ? La bataille des chiffres fait rage sans parvenir à un consensus autre que certaines professions vont être amenées à disparaître ou à évoluer et que d’autres vont naître ou se développer. Cependant l’IA, bien utilisée, va réduire la pénibilité de certains emplois, va suppléer les humains dans des secteurs, comme l’accompagnement à la personne, qui peinent à recruter. Elle va permettre de développer de nouvelles compétences et de nouveaux métiers.

Comme pour Internet, une des réponses à ces questionnements légitimes passe par l’investissement. Ce non seulement pour développer et implémenter ces technologies, mais aussi pour accompagner, former et les rendre accessibles de manière la plus large possible. De manière globale, l’Union européenne prévoit d’investir 20 milliards d’euros par an dans l’IA[13]. Et comme le note un rapport de l’UE, en 2020, la première source d’investissement des pays européens en 2020 (soit 34 %) concernait le développement de compétences et la transformation de l’emploi par l’IA[14]. En parallèle, les initiatives de la part du secteur privé foisonnent et les investissements s’intensifient. Après avoir investi 1 milliard de dollars dans OpenAI en 2019, Microsoft a plus que décuplé la mise quatre ans plus tard, avec un nouvel investissement de 13 milliards de dollars en début d’année. Un partenariat qui va au-delà du financier, puisque la multinationale offre également à l’entreprise créatrice de ChatGPT ses services avec entre autres de la puissance de calcul et des interfaces de programmation[15].

Si le monde du travail et nos sociétés en général vont progressivement se transformer sous l’influence de l’IA, ces systèmes intelligents font aussi partie de la réponse aux enjeux cruciaux de notre époque. En 2022, l’ONU lançait ainsi « l’initiative AI for the Planet », afin d’encourager la collaboration internationale au travers de conférences et de collaborations public-privé réunissant des chercheurs, des scientifiques, des décideurs politiques, des entrepreneurs, des startups et des acteurs du secteur privé[16]. Objectif : démontrer comment l’IA peut contribuer à répondre aux défis posés par le réchauffement climatique en aidant les transports, l’agriculture ou l’industrie à calculer et à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre, en améliorant l’efficacité énergétique des bâtiments, en optimisant les réseaux de production d’énergie renouvelable ou encore en améliorant la gestion et la prévention des risques liés au changement climatique. Dans tous ces domaines, l’IA est un outil clé, qui va être un facteur et un outil de transformation pour construire un monde plus responsable et durable.

Notes —
1. https://www.marketsandmarkets.com/Market-Reports/artificial-intelligence-market-74851580.html
2. https://www.mskcc.org/news-releases/ibm-watson-hard-work-new-breakthroughs-transform-quality-care-patients
3. https://curie.fr/actualite/publication/linstitut-curie-developpe-un-outil-dintelligence-artificielle-pour
4. https://www.oecd-ilibrary.org/sites/39b6299a-en/index.html?itemId=/content/component/39b6299a-en
5. https://www.marketwatch.com/story/carrefour-launches-chatgpt-style-bot-for-online-shopping-e9d3454d
6. https://www.weforum.org/agenda/2023/04/can-ai-improve-education-here-are-4-potential-use-cases/
7. https://www.govtech.com/education/higher-ed/study-30-of-college-students-have-used-chatgpt-for-essays
8. https://www.nytimes.com/2023/04/08/technology/ai-photos-pope-francis.html
9. https://www.ft.com/content/3ce7ed9d-df95-4f5f-a3c7-ec8398ce9c50
10. https://defensescoop.com/2023/03/13/pentagon-requesting-more-than-3b-for-ai-jadc2/
11.https://www.technologyreview.com/2022/07/07/1055526/why-business-is-booming-for-military-ai-startups/
12. https://www.state.gov/political-declaration-on-responsible-military-use-of-artificial-intelligence-and-autonomy/
13. https://digital-strategy.ec.europa.eu/en/policies/european-approach-artificial-intelligence
14. https://ai-watch.ec.europa.eu/publications/ai-watch-estimating-ai-investments-european-union_en
15. https://www.cnbc.com/2023/04/08/microsofts-complex-bet-on-openai-brings-potential-and-uncertainty.html
16. https://www.aifortheplanet.org

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