Stress hydrique : un défi vital

Stress hydrique : un défi vital

2,3 milliards de personnes habitent aujourd’hui des zones qui ne disposent pas de quantités d’eau suffisante pour répondre à leurs besoins tout au long de l’année. Sous l’effet notamment du réchauffement du climat, le stress hydrique ne cesse de progresser à travers la planète. En plus de contraindre l’accès à l’eau potable des populations, le phénomène affecte profondément l’agriculture et la sécurité alimentaire, perturbe les activités industrielles et menace la biodiversité. A la clé : un défi immense, protéiforme, qui, pour être relevé, nécessitera l’implication des acteurs publics comme privés. 

La chose peut sembler contre-intuitive, mais l’eau douce est une denrée relativement rare :  elle constitue 2 % de l’eau présente sur terre (dans les lacs, rivières, glaciers et zones humides), quand les océans et les mers en contiennent 97 % et les eaux souterraines 1 %. Cette réalité physique doit être mise en perspective de l’usage sans cesse croissant qu’en font aujourd’hui les êtres humains. La consommation mondiale d’eau a ainsi été multipliée par six au cours du XXème siècle, quand la population mondiale a triplé durant la même période1.

D’après un rapport du World Ressources Institute (WRI)2, 25 pays connaissent aujourd’hui un stress hydrique « extrêmement élevé », c’est-à-dire que leur consommation a dépassé de plus de 80 % leurs ressources en eau plus d’un mois par an. Si le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord sont les zones les plus touchées (83 % de la population exposée), rares sont les régions à ne pas être menacées. Un rapport du WWF3 pointe ainsi que le stress hydrique touche 20 % du territoire européen et 30 % de la population européenne.
Alors que 70 % de l’eau douce est utilisée par l’agriculture4, les limitations de l’accès à l’eau affectent la productivité des cultures et donc, indirectement, la sécurité alimentaire. Les régions soumises à un stress hydrique élevé, comme certaines parties de l’Afrique et de l’Asie du Sud, connaissent des fluctuations spectaculaires de la disponibilité en eau. A la clé : baisses de rendement et flambées du prix des denrées alimentaires qui, dans les cas extrêmes, peuvent conduire à des famines.

22 % de l’usage de l’eau douce est destiné à l’industrie5. Secteurs énergétique, industrie manufacturière, industrie textile, industrie minière… La production de chacune de ces filières fortement consommatrice d’eau est susceptible d’être impactée par la survenance de crises de l’eau.

Le stress hydrique, un phénomène multifactoriel

Les situations de stress hydrique résultent d’une conjonction de facteurs, au premier rang desquels, se trouve l’urbanisation et le réchauffement climatique. Ainsi, selon une étude publiée dans Nature6, la population urbaine mondiale confrontée au manque d’eau devrait passer de 933 millions en 2016 à entre 1,7 et 2,4 milliards de personnes en 2050 (soit un passage d’un tiers de la population urbaine mondiale à près de la moitié). Le nombre de grandes villes exposées à la pénurie d’eau devrait passer de 193 à 284, dont 10 mégapoles à 20. Des chiffres qui interviennent dans un contexte où, entre 1950 et 2020, la population urbaine mondiale est passée de 0,8 milliard à 4,4 milliards, avec la perspective d’atteindre 6,7 milliards d’ici 2050 (plus de 68 % de la population mondiale)7. Cette urbanisation a logiquement des implications massives sur l’eau : augmentation et concentration de la demande pour des usages domestiques et industriels notamment, modifications des cycles hydrologiques (augmentation des surfaces imperméables et suppression de la végétation du fait de la bétonisation), dégradation de la qualité de l’eau en raison de la nature des rejets industriels et domestiques, etc. Conjuguée à l’intensification de l’agriculture, l’artificialisation des sols nuit à l’infiltration des eaux et à la recharge des nappes phréatiques8.

Dans le même temps, le réchauffement climatique contribue activement à l’augmentation de la pression hydrique. La multiplication de phénomènes météorologiques extrêmes (inondations, ouragans, sécheresses, etc.) a notamment pour conséquence de dégrader la qualité des sources d’eau, aggravant ainsi le stress hydrique9. Parce qu’elle augmente l’évaporation et bouleverse la distribution, la quantité et la qualité de l’eau disponible, la hausse de la température terrestre provoque en outre des changements dans le cycle de l’eau lui-même10. Des changements majeurs qui impactent tant les individus et les écosystèmes que les activités industrielles. Et à cela s’ajoute le fait que le changement climatique influe également sur les besoins en eau pour différentes utilisations, comme l’irrigation.

Les leviers pour relever les problématiques liées au stress hydrique

Comment relever ce défi clé pour l’avenir de l’humanité ? Une multitude de solutions peuvent être mobilisées pour limiter le stress hydrique. Global, polymorphe, le défi suppose la coordination entre acteurs publics (au niveau des États, des régions et des échelons les plus locaux) et acteurs privés susceptibles de modifier leurs pratiques pour réduire leur consommation d’eau, voire de développer des solutions innovantes pour agir sur les causes des difficultés.

Alors même que le 6ème Objectif de Développement Durable (ODD) concerne directement l’eau, l’ONU a organisé une grande conférence mondiale sur la thématique en mars 2023. A cette occasion, un chiffre clé a été martelé : pour assurer l’accès de tous à l’eau potable d’ici à 2030, il faudrait multiplier les niveaux d’investissement actuels par au moins trois11. Sur un plan plus régional, en Europe, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) évoque le chiffre de 90 milliards que l’Union européenne devra investir12 d’ici 2030 pour assurer une distribution uniforme de la ressource, lutter contre le stress hydrique et diminuer les fuites sur les réseaux de distribution. Plus des deux tiers des agglomérations en situation de stress hydrique pourraient y remédier par des investissements dans leurs infrastructures13.

Parmi les solutions disponibles, on trouve notamment celles fondées sur la nature : restauration de cours d’eau et des zones humides, amélioration de la résilience face aux phénomènes météorologiques extrêmes, etc. Les motifs d’espoir sont réels, à l’image des projets de fonds soutenus par l’Agence France pour le Développement (AFD). Deux exemples de réussites14 : au Qixian, en Chine, l’usage de plantes aquatiques pour filtrer les eaux usées de la ville et approvisionner en eau les zones humides, et à proximité de Dakar, au Sénégal, la protection de ressources en eau et l’amélioration de la recharge de nappes à travers des solutions fondées sur la nature (recharge de la nappe phréatique avec réhabilitation de bassins de rétention, reboisement, cordons pierreux, petites digues filtrantes, etc.). Autre levier clé : la transition de l’agriculture conventionnelle vers l’agroécologie, soit la mise en place de pratiques (couvertures des sols, agroforesterie, etc.) limitant les conséquences de l’aridité sur la production.

Dans les zones urbaines, un large spectre de solutions est d’ores et déjà disponible pour lutter contre la pénurie d’eau : exploitation des eaux souterraines, augmentation du stockage de l’eau dans les réservoirs, transferts d’eau entre bassins ou l’amélioration de l’efficacité de l’utilisation de l’eau. À mesure que l’eau gagne en rareté, une série de technologies prometteuses émergent pour filtrer l’eau, mais pas seulement : éliminer les contaminants et ouvrir la voie à la réutilisation des eaux usées, des eaux d’égout, voire de l’eau de mer. Technologies de dessalement, systèmes d’irrigation intelligents, gestion des eaux usées, stockage de l’eau de pluie, modélisation… Plus globalement, l’innovation peut se révéler un levier essentiel pour apporter des solutions durables.

Au-delà de ces solutions, développées par des acteurs à la pointe – qui devront bénéficier d’investissements massifs –, ce sont l’ensemble des organisations qui doivent transformer leur gestion et leur impact sur l’eau. Il est remarquable à ce titre que la CSRD (Corporate Sustainability Report Directive), qui entrera en vigueur le 1er janvier 2024, oblige les grandes entreprises européennes à communiquer sur toute une série d’indicateurs touchant à leur usage de l’eau (consommation, prélèvements, rejets, utilisation des ressources marines, etc.). Soit une preuve supplémentaire de la réalité d’une prise de conscience que chacun, à son niveau, doit contribuer à traduire en actes.

1 http://wrsc.org/attach_image/global-water-consumption-1900-2025
2 https://www.wri.org/insights/highest-water-stressed-countries
3 https://www.wwf.fr/sites/default/files/doc-2023-09/Water%20scarcity_report_v7.0.pdf
4 https://donnees.banquemondiale.org/indicateur/ER.H2O.FWAG.ZS
5 https://donnees.banquemondiale.org/indicateur/ER.H2O.FWAG.ZS
6 https://www.nature.com/articles/s41467-021-25026-3
7 United Nations (UN). 2018. 2018 Revision of World Urbanization Prospects. https://population.un.org/wup/ (2018).
8 https://www.wwf.fr/nos-champs-daction/secheresse-comprendre-pour-agir
9 https://www.unicef.org/stories/water-and-climate-change-10-things-you-should-know
10 https://www.ucsusa.org/resources/water-and-climate-change
11 https://www.letemps.ch/monde/penuries-deau-se-generalisent-lonu-craint-une-crise-mondiale-imminente
12 https://www.oecd.org/environment/financing-water-supply-sanitation-and-flood-protection-6893cdac-en.htm
13 https://www.nature.com/articles/s41467-021-25026-3
14 https://www.afd.fr/fr/actualites/3-projets-innovants-pour-preserver-les-ressources-en-eau


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