L’industrie à forte intensité énergétique face au défi de la neutralité carbone

L’industrie à forte intensité énergétique face au défi de la neutralité carbone

Alors qu’aussi bien les États-Unis que l’Europe ou encore le Japon visent la neutralité carbone pour 2050, et la Chine pour 2060, tous les secteurs de l’économie se mettent en ordre de bataille pour se décarboner. Pour nombre d’entre eux, en particulier dans le tertiaire, l’objectif pourra être atteint grâce au recours grandissant, voire exclusif aux énergies renouvelables associées à des plans de sobriété énergétique. Cependant, l’enjeu est tout autre pour les industries à forte intensité énergétique comme le secteur métallurgique, de la chimie ou du ciment dont les activités sont fortement émettrices de gaz à effet de serre. Passage en revue des solutions de décarbonation qui s’offrent à elles pour participer au mouvement mondial vers la neutralité carbone.

Comment imaginer l’industrie de l’acier sans hauts fourneaux ou encore celle du ciment sans clinker obtenu en chauffant un mélange de différentes matières premières ? Les industries à forte intensité énergétique se classent très haut dans le classement des principaux émetteurs de gaz à effet de serre, représentant environ 25 % des émissions totales de CO2 à l’échelle mondiale1. Des industries dont les activités sont à la fois fortement énergivores et fortement émettrices de gaz à effet de serre. Un exemple parmi d’autres : la production d’acier nécessite des températures de 1 100 à 1 600 °C, obtenues grâce aux énergies fossiles. En outre, les émissions de CO2 sont en grande partie des effets « secondaires » des processus de transformation indispensables à la production de matériaux comme le ciment ou l’acier.

Or ces secteurs sont clés dans la croissance mondiale, ne serait-ce que pour accompagner l’augmentation de la population, le développement économique et le besoin grandissant en infrastructures, logements, transports, etc. La demande mondiale en acier devrait ainsi progresser de 30 % d’ici à 20502 et celle d’aluminium de 50 %3 .

C’est donc sans surprise que ces industries soient au cœur des réflexions sur les stratégies de décarbonation. En juin dernier, le président Biden a annoncé un investissement de 135 millions de dollars dans 40 projets destinés à permettre à l’industrie américaine d’accélérer sa mutation vers la neutralité carbone4. En Europe, la Nouvelle stratégie industrielle pour l’Europe présentée en mars 2020 fait de la décarbonation de l’industrie, et tout particulièrement des industries à forte intensité énergétique, un des enjeux clés pour atteindre son objectif en 20505 .

Développer des alternatives aux énergies fossiles
Plusieurs voies sont explorées pour réduire la consommation d’énergie et les émissions de gaz à effet de serre. La première d’entre elles est l’intégration d’autres sources d’énergies moins émettrices à leur production. Ainsi, comme le souligne, l’International Energy Agency, les procédés nécessitant des températures relativement basses (comme l’agroalimentaire) se prêtent bien à l’électrification6.

L’utilisation de la biomasse – des déchets issus du secteur du bois, de l’agriculture ou de l’élevage – est une autre voie explorée par l’industrie, en partie par combustion industrielle, mais surtout grâce à des traitements de gazéification ou de liquéfaction. Ces traitements permettent, par exemple, d’utiliser des coproduits de l’industrie du bois pour produire du biogaz ou des biocarburants qui peuvent, peu ou prou, être utilisés comme alternatives aux combustibles fossiles. Le recours à la biomasse se heurte cependant à de nombreux enjeux, comme la mise en place de filières d’approvisionnement, de solutions de transformation capables de produire à l’échelle industrielle ou encore à la question du coût de ces alternatives7. La question de la compétitivité industrielle reste, en effet, un facteur clé. D’où la nécessité de proposer des alternatives dont les prix se rapprochent le plus possible des coûts des énergies fossiles via l’innovation.

La voie de l’hydrogène
Le déploiement de l’hydrogène dans l’industrie se heurte aux mêmes enjeux, auxquels il faut ajouter la question de l’origine de l’hydrogène lui-même. Les méthodes traditionnelles de production de ce gaz sont, en effet, fortement émettrices de CO2 et tout son potentiel comme voie de décarbonation repose sur les capacités de production d’un hydrogène dit « propre », produit à partir d’énergies renouvelables ou du nucléaire.

Sur le papier, pourtant, l’hydrogène est un atout majeur pour l’industrie. En premier lieu, en permettant de stocker et donc de stabiliser la production d’énergies renouvelables, favorisant ainsi son usage par de nombreux secteurs. Et en second lieu pour sa capacité à décarboner certains procédés de production, dont celui de l’acier. En effet, l’hydrogène peut être utilisé comme agent de réduction dans le processus de réduction directe du minerai de fer, étape essentielle de production d’acier. Dans ce processus, la réaction de l’hydrogène avec l’oxygène du minerai de fer produit de la vapeur d’eau au lieu de CO2 avec le traditionnel agent de réduction qu’est le charbon cokéfiable8. De même, utilisé dans les procédés chimiques comme matière première, l’hydrogène est une voie prometteuse de décarbonation de l’industrie chimique.

Repenser l’approche de la consommation d’énergie
L’autre grand pan de l’approche développée par le secteur industriel dans sa voie vers la neutralité carbone passe par une réflexion autour de la consommation d’énergie. Cela signifie, par exemple, investir dans la rénovation de l’outil industriel, mettre en place des plans d’économie d’énergie reposant sur un suivi de la consommation, la rénovation des bâtiments.

Autre voie qui peut induire une approche différente de la consommation d’énergie – et de la production industrielle : le développement de l’économie circulaire. De l’industrie métallurgique, à celle du plastique, en passant par celle du textile ou encore de la chimie, tous les secteurs industriels peuvent développer des productions et des processus qui facilitent la réutilisation, la refabrication ou le recyclage9.

L’économie circulaire passe aussi par le captage et l’utilisation du carbone. Une fois concentré, le CO2 capté peut également être utilisé pour produire des carburants synthétiques, par un processus appelé électrolyse du CO2, ou bien utilisé par l’industrie agroalimentaire (production de boissons gazéifiées) ou chimique, l’aquaculture. Là encore, le développement de ces solutions nécessite le déploiement de filières bien organisées, et d’investissements massifs. La Oil and Gas Climate Initiative, qui regroupe 12 des plus grandes compagnies gazières et pétrolières au monde, a ainsi fait du captage et de la réutilisation du CO2 un axe fort de sa politique de décarbonation, appuyée par un plan d’investissement de plus d’un milliard de dollars .

Des clusters pour atteindre la neutralité carbone
Au-delà de ces pistes, les projets de neutralité carbone les plus prometteurs reposent sur des clusters, alliant plusieurs solutions et différents acteurs (notamment industriels, spécialistes de la décarbonation et pouvoirs publics). L’initiative « Transitioning Industrial Clusters towards Net Zero », déployée en Europe, aux États-Unis et en Asie, vise ainsi à créer 100 pôles industriels mondiaux, à réduire les émissions de CO2 de 1,6 milliard de tonnes, à maintenir et créer 18 millions d’emplois et contribuer au PIB mondial à hauteur de 2 500 milliards de dollars11.

Le pôle industriel de Humberside, en Angleterre, qui ambitionne la neutralité carbone d’ici 2040 est un bon exemple de ce que permettent ces clusters. Il regroupe des industries de l’acier, de la chimie, du ciment et des raffineries. Au sein de ce cluster, le programme « Zero Carbon Humber » prévoit le développement d’une infrastructure partagée de capture du carbone avec stockage offshore. En outre, le cluster prévoit des installations de production d’hydrogène avec une infrastructure de distribution partagée. À plus long terme, le projet inclura la production d’hydrogène vert en utilisant l’énergie éolienne offshore et des électrolyseurs. Enfin, les partenaires du projet misent sur l’efficacité énergétique et la circularité pour réduire leurs émissions de CO212 .

Le développement de ces clusters illustre parfaitement la manière dont les industries à forte intensité énergétique parviendront à tracer leur chemin vers la neutralité carbone : en misant sur la collaboration, les partenariats publics-privés, en investissant dans des infrastructures communes, et en favorisant l’innovation pour permettre à des solutions d’atteindre l’échelle industrielle. Pour construire l’avenir de l’industrie durable d’un point de vue environnemental, social et économique.

1 https://www.iea.org/energy-system/industry
2 https://www.weforum.org/reports/the-net-zero-industry-tracker/in-full/steel-industry/
3 https://european-aluminium.eu/blog/vision2050/
4 https://www.energy.gov/articles/biden-harris-administration-announces-135-million-reduce-emissions-across-americas
5 https://commission.europa.eu/strategy-and-policy/priorities-2019-2024/europe-fit-digital-age/european-industrial-strategy_en
6 https://www.iea.org/energy-system/electricity/electrification
7 https://www.ieabioenergy.com/wp-content/uploads/2022/02/Role-of-biomass-in-industrial-heat.pdf
8 https://www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/BRIE/2020/641552/EPRS_BRI(2020)641552_EN.pdf
9 https://worldsteel.org/circular-economy/
10 https://www.ogci.com
11 https://www.weforum.org/press/2023/01/decarbonization-of-industrial-clusters-initiative-gains-global-momentum/
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