Vers de nouvelles perspectives pour l’Afrique subsaharienne

Vers de nouvelles perspectives pour l’Afrique subsaharienne

L’annonce en mai dernier d’un accord de sponsoring entre le gouvernement rwandais et le club de football anglais d’Arsenal, a suscité de vives réactions partagées. Les manches du maillot d’Arsenal porteront ainsi le logo « Visit Rwanda » en contrepartie d’un investissement de 30 millions de livres sterling sur trois ans, et les joueurs et joueuses d’Arsenal se rendront au Rwanda afin d’organiser des stages d’entraînement. S’agit-il donc d’un caprice de la part du dictateur Paul Kagame, qui est un ardent supporter d’Arsenal, alors que la population de son pays est confrontée à une forte pauvreté ?

Certaines voix se sont élevées pour se demander si l’aide fournie chaque année par l’Occident depuis le génocide rwandais de 1994 servait à financer ce projet. À l’inverse, d’autres personnes pensent qu’au vu de la visibilité de la Premier League anglaise, qui ne cesse de croître grâce aux droits télévisuels, notamment avec l’arrivée d’Amazon comme diffuseur, cela représente plutôt une initiative judicieuse et clairvoyante d’un point de vue économique.

Ce débat donne ainsi quelques indications quant aux perspectives de croissance et de développement à long terme de l’Afrique subsaharienne, et les enjeux sont considérables. Selon le Forum économique mondial, d’ici 2050, plus de la moitié (54 %) de la population mondiale vivra en Afrique et contrairement à celles d’Europe et de Chine, la population africaine sera jeune : plus de 30 % des Africains auront entre 10 et 24 ans d’ici 2050 d’après les estimations. En effet, le vieillissement de la population est quasiment inexistant, puisque la part de la population de 65 ans et plus en Afrique ne devrait augmenter que de 3 % à 6 %.

Les données démographiques sont prometteuses, mais la Banque mondiale a tout de même tenu à nuancer la théorie selon laquelle l’Afrique était assurée de tirer parti de l’issue de ce scénario. En effet, d’après elle, la République centrafricaine, la République démocratique du Congo, le Niger, le Liberia, la Côte d’Ivoire, la Zambie, le Zimbabwe et le Sénégal sont désormais plus pauvres qu’ils ne l’étaient en 1960, année au cours de laquelle un certain nombre de ces pays ont déclaré leur indépendance. L’une des raisons expliquant cet avertissement est que l’optimisme affiché par les marchés émergents quant à la réduction de la dépendance aux exportations de produits de base n’est tout simplement pas applicable dans de nombreuses régions d’Afrique subsaharienne. Par exemple, certains pays restent fortement dépendants des exportations d’uranium (Namibie), de cuivre (Zambie) et de pétrole (Angola). La chute des prix de n’importe lequel de ces produits affecte immédiatement les pays en question, mais également les investisseurs mondiaux.

De manière générale, la situation pourrait tout à fait se détériorer au lieu de s’améliorer. Plus de la moitié des pays du monde dépendant des produits agricoles se trouvent sur le continent africain, et environ deux tiers des Africains sont tributaires de l’agriculture pour subvenir aux besoins de leur famille. Selon le rapport State of Commodity Dependence de la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED) publié en octobre 2017, la dépendance des pays africains à l’égard des produits de base s’est aggravée, sept nouveaux pays ayant été considérés comme fortement dépendants entre 2014 et 2015. Cette situation peut avoir des conséquences négatives, car près de deux tiers des pays en développement considérés comme dépendants des produits de base affichaient un indice de développement humain faible ou moyen selon la CNUCED.

Une plus grande diversification des exportations est nécessaire, mais il est peu probable qu’en Afrique, la production industrielle puisse satisfaire ce besoin. En effet, la part des emplois dans ce secteur s’établit en dessous des 8 %, alors que la part du PIB s’inscrit à environ 10 %, en baisse par rapport au niveau proche de 15 % enregistré en 19751, ce qui peut s’expliquer par certaines raisons structurelles. Les pays se sont montrés capables de procéder à une transition plus facile vers des produits nécessitant des capacités similaires à celles qui existent déjà au sein de leur structure de production2. Il est plus facile de passer d’une industrie basée sur la production de minerai de fer à une autre axée sur la production d’acier, plutôt que sur la production de produits pharmaceutiques. L’accès aux niches industrielles à plus grande valeur ajoutée peut s’avérer impossible.

Pour autant, cela ne signifie pas que l’Afrique subsaharienne ne peut pas prendre une longueur d’avance dans certains domaines. D’aucuns considèrent que les exportations de services sont trop souvent négligées par les économies émergentes en quête de diversification3. Le tourisme, par exemple, permet d’éliminer les obstacles qui empêchent les pays émergents de pénétrer de nouveaux marchés. Il crée une logique économique afin de stimuler les efforts visant à améliorer la conservation de la nature. « Wildlife pays, so wildlife stays » Les aires protégées sont rentables, donc il faut les conserver, comme le dit le proverbe d’Afrique de l’Est. Certes, le propriétaire d’Arsenal, Stan Kroenke, qui a signé l’accord de sponsoring avec Paul Kagame, et s’est vu contraint d’abandonner son projet de chaîne télévisée dédiée aux exploits de la chasse au trophée en Afrique fait figure d’exception, mais vous voyez.

Il existe un « multiplicateur touristique » : le touriste dépense son argent, mais les hôtels locaux doivent acheter les intrants auprès d’un certain nombre d’entreprises afin de satisfaire la demande. Il a été démontré que les effets de ce multiplicateur sont plus importants dans les zones rurales que dans les milieux urbains, et selon certaines estimations, l’impact indirect du tourisme sur une économie pourrait pleinement rivaliser avec celui des dépenses touristiques directes4.

Les effets du multiplicateur s’étendent également à la diversification. Les informations relatives à la demande mondiale, qui ne seraient autrement pas disponibles, deviennent accessibles, permettant ainsi aux entreprises locales de les obtenir pour un coût limité, voire nul. Dans quel autre contexte une clientèle potentielle fortunée payerait-elle pour un service fourni par une petite entreprise ? L’entrepreneur peut tester ses produits sur les touristes sans avoir besoin de réaliser un investissement important pour une exportation immédiate. Les fournisseurs de services hôteliers ont tout intérêt à remplacer les importations par des produits locaux afin de proposer aux touristes des denrées alimentaires fraîches et typiques. La hausse de la demande étrangère de produits locaux permet de relever les standards de production, ce qui entraîne une forte progression des exportations. Le mobilier en bois venant d’Égypte est un bon exemple de produit exporté grâce au tourisme5. Les entreprises locales peuvent directement tirer parti de la plupart de ces bénéfices, contrairement aux revenus pétroliers par exemple, ou même aux subventions, qui sont souvent distribués au sein d’une élite gouvernementale restreinte.

Le continent africain est le premier touché par les défis posés par le réchauffement climatique. Une grande partie de l’Afrique subsaharienne est confrontée à des niveaux de précipitations plus faibles depuis plus d’un siècle maintenant. L’urbanisation rapide ainsi que la croissance de la population ne feront qu’augmenter la pression sur des ressources en eau déjà insuffisantes. Cette année, par exemple, Le Cap a connu la pire pénurie d’eau de son histoire. L’idée selon laquelle l’Afrique subsaharienne peut devenir un marché émergent prospère est en opposition directe avec la perspective d’une recrudescence des conflits liés à l’accès à l’eau.

Dans ce contexte, le tourisme est tout autant un danger qu’une possible solution. Dans certaines régions d’Afrique, la consommation d’eau par visiteur peut être 70 fois supérieure à celle de la population locale6. D’un point de vue positif, l’accès à l’eau potable est essentiel pour le tourisme, et les hôtels, les restaurants et les infrastructures de loisir ont donc un intérêt économique à le fournir. Avec plus d’un milliard de personnes voyageant dans le monde chaque année, le tourisme est un moyen d’accroître la sensibilisation aux enjeux politiques liés à l’eau. Le tourisme dispose de l’influence économique nécessaire pour que la question de l’approvisionnement en eau, cruciale aux yeux des écologistes, devienne l’une des priorités des différents ministres des finances, de la planification et des infrastructures.

N’importe quel pays dans lequel les touristes souhaitent se rendre a une chance d’entrer sur le marché du tourisme. Ce secteur s’appuie sur les attractions, et celles-ci voient le jour grâce à la particularité et à la diversité des caractéristiques géographiques. Le Rwanda dispose effectivement de ces éléments : le pays est sûr et propre, et l’on y trouve des gorilles de montagne, des réserves naturelles, des forêts tropicales et le lac Kivu, le tout dans une région de la taille de l’État du Maryland. En outre, il constituait, dans le passé, le parfait exemple d’un pays dépendant des produits de base, puisqu’en 2016, ils représentaient 48 % de ses exportations, notamment l’or, l’étain, le tantale, le tungstène, le thé et le café. Pourtant, le pays a tiré parti de ces ressources pour prendre une longueur d’avance sur d’autres destinations d’Afrique subsaharienne. Les recettes en devises issues du tourisme affichent une croissance d’environ 30 % par an.

Toutefois, le tourisme ne se plie pas aux principes liés aux avantages concurrentiels ni à ceux du « premier arrivé », et les autres destinations subsahariennes peuvent encore refaire leur retard. Il est évident que la situation est plus complexe qu’une simple dichotomie entre la production industrielle et les services. Être capable de faire face à la concurrence dans le tourisme, ou dans n’importe quel autre service, dépend également des capacités de production. Néanmoins, les secteurs manufacturiers formels ne sont pas les principaux bénéficiaires de l’urbanisation du continent africain. Que cela plaise ou non, les migrants urbains africains sont largement absorbés, pour la plupart, par l’économie informelle et par les services, et nombre d’entre eux sont obligés de mener une lutte désespérée afin de survivre. Une façon simple et reconnue pour leur venir en aide serait de distribuer les liquidités de manière plus équitable7.

Le tourisme est un moyen d’y parvenir. Les supporters d’Arsenal étaient plus susceptibles de critiquer le nouveau modèle de maillot plutôt que de faire part de leurs préoccupations quant à son impact économique, ou au comportement du Rwanda en matière de droits de l’homme. Cependant, le tourisme est une excellente solution pour diversifier les exportations et ainsi favoriser les investissements à long terme en Afrique subsaharienne. Le Rwanda a déclaré que les revenus issus du tourisme, et non l’aide étrangère, avaient été utilisés pour financer cet accord. Au vu des difficultés à long terme auxquelles sont confrontés de nombreux pays africains en essayant de pénétrer sur les marchés d’exportations de produits, il leur est difficile de mettre en place des stratégies alternatives.

Notes – – –
1. Dani Rodrik, An African Growth Miracle? Journal of African Economies, 2016.
2. César Hidalgo, B. Klinger, A. L. Barabási et Ricardo Hausmann, (2007), The Product Space Conditions the Development of Nations. https://arxiv.org/ftp/arxiv/papers/0708/0708.2090.pdf
3. Richard Newfarmer, William Shaw, Peter Walkenhorst (Eds.), Breaking Into New Markets: Emerging Lessons for Export Diversification, (Banque mondiale, 2009), p xxii.
4. Olivier Cattaneo, Tourism as a Strategy to Diversify Exports: Lessons From the Mauritius, Newfarmer et coll., ouvr. cité, p 190.
5. Iza Lejárraga, Peter Walkenhorst, Fostering Productive Diversification Through Tourism, Newfarmer et coll., ouvr. cité p 198.
6. Centre africain des ressources naturelles, Tirer le meilleur profit de l’eau par le tourisme en Afrique, 2015, p19.
7. Par exemple, James Ferguson, Give a Man a Fish: Reflections on the New Politics of Distribution, (Duke University Press Books, 2015)
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