Les terres rares, un enjeu de souveraineté nationale

Les terres rares, un enjeu de souveraineté nationale

Bien que représentant un marché de petite taille de 210 000 tonnes consommées par an, les terres rares – ces dix-sept éléments du tableau de Mendeleïev – sont utilisées pour leurs caractéristiques spécifiques, voire uniques, dans de nombreux secteurs d’activité dont certains sensibles et à haute valeur ajoutée comme la défense, le spatial ou encore les technologies de l’information et de la communication. Certaines d’entre elles sont irremplaçables à ce jour, d’où leur classement en tant que substances stratégiques, voire critiques, en fonction des risques plus ou moins avérés d’approvisionnement.

 

Les terres rares ne sont pas si rares !

Le lutétium – l’une des terres rares la moins abondante – est dix fois plus présent dans la croûte terrestre que l’argent et le cérium est plus abondant que le cuivre. Toutefois, les trois quarts des réserves sont concentrées en Asie, notamment en Chine (37 %) et elles sont la plupart du temps extraites en coproduits de métaux de base en très faible quantité et sont difficiles à séparer.

Tirée par la transition énergétique et numérique, la demande mondiale en terres rares devrait rester soutenue au cours des prochaines années. À elle seule, la demande prévisionnelle de terres rares pour atteindre les 24 millions de véhicules électriques prévus en 2030 dépasserait la production mondiale actuelle ! Quant au développement du parc éolien offshore, le seul besoin en aimants permanents – particulièrement gourmands en terres rares – équivaudrait à 10 % de la production actuelle.

Un environnement complexe à la croisée d’enjeux industriels, environnementaux et géopolitiques

Le process d’extraction et de traitement des terres rares est long, complexe, et varie en fonction de la typologie des gisements. Bien que les terres rares soient utilisées pour générer de l’énergie propre sans émission de CO2 et généralement dans le cadre de la transition écologique, l’impact environnemental de leur traitement est significatif avec l’utilisation répétée d’acides dans les phases de traitement, la génération d’importants volumes de déchets ou encore la consommation d’énergies fossiles comme celle du charbon en Chine.

Depuis la fin des années 1990, la Chine est devenue le premier producteur mondial de terres rares au détriment des pays occidentaux qui ont perdu au fil des ans leur capacité de production et leur savoir-faire industriel et technologique. Une hégémonie illustrée par la création de six groupes d’État dont China Northern Rare Earth, le leader mondial et opérateur de la mine de Bayan Obo, la plus grande mine de terres rares au monde.

Forte de son monopole sur l’ensemble de la filière y compris la fabrication de produits à haute valeur ajoutée, la Chine menace de « fermer le robinet » de ses exportations pour préserver ses propres ressources, mais aussi en représailles à la guerre commerciale sino-américaine.

Une offre de terres rares est-elle possible « hors Chine » ?

Soucieux de réduire leur dépendance à la Chine, les pays occidentaux se mobilisent pour recouvrer un pan crucial de leur souveraineté nationale. Une quinzaine de projets miniers avancés existent notamment en Australie, ce qui laisse penser que la réponse du côté de l’offre est possible hors Chine.

Mais le développement de ces projets à forte intensité capitalistique peut être entravé par de nombreux facteurs à court terme : risque pays, faible acceptabilité sociale, qualité insuffisante des gisements, intégration partielle dans la chaîne de valeur, prix actuel des terres rares bas, temps long des projets de dix et quinze ans associé au risque de mise au point de produits de substitution.

Le défi d’une Europe responsable

À ce jour, moins de 1 % des terres rares sont recyclées et celles qui composent de nombreux objets de la vie de tous les jours (néodyme dans les aimants, yttrium dans les LED, dysprosium dans les haut-parleurs) en font partie. Pour économiser les ressources primaires et réduire la dépense à leur approvisionnement, le développement du recyclage des terres rares est donc à encourager même s’il reste à ce jour très limité en raison de leur utilisation en faible quantité, de leur dilution dans de nombreux appareils à durée de vie très courte, d’un coût de recyclage supérieur à celui de l’extraction primaire et du risque de rupture technologique qui rendrait ces ressources inexploitables à long terme.

Au-delà des deux gros projets miniers européens qui sont en cours d’étude (Norra Karr en Suède et Kvanefjeld au Groenland), nous pensons que c’est sur ce terrain du recyclage – à l’instar de la réflexion en cours sur la création d’une filière de recyclage des aimants permanents – et du développement de mines « responsables » que l’Europe a une carte à jouer.

En proposant une offre plus vertueuse sur le plan environnemental à des consommateurs plus exigeants et responsables, les pays occidentaux devraient pouvoir concurrencer à moyen terme le modèle chinois.

« Tirée par la transition énergétique et numérique, la demande mondiale en terres rares devrait rester soutenue au cours des prochaines années. À elle seule, la demande prévisionnelle de terres rares pour atteindre les 24 millions de véhicules électriques prévus en 2030 dépasserait la production mondiale actuelle ! Quant au développement du parc éolien offshore, le seul besoin en aimants permanents – particulièrement gourmands en terres rares – équivaudrait à 10 % de la production actuelle. »

— Pascale MEGARDON AUZEPY, Etudes Economiques du Crédit Agricole, Ingénieur-Conseil

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