L’économie circulaire, choix sociétal et entrepreneurial

L’économie circulaire, choix sociétal et entrepreneurial

Depuis le XVIIIe siècle et les débuts de l’ère industrielle, le progrès technique s’appuie sur une utilisation sans limite des ressources naturelles. Mais cette époque pourrait bien être révolue : du fait de la crise climatique, un consensus émerge sur la nécessité de changer de modèle de développement. En englobant une nouvelle approche des modes de conception, de production et de consommation, l’économie circulaire fait de plus en plus figure de véritable alternative.

La nature ne produit pas de déchet, tout y est réutilisé. Dès lors, l’ensemble des ressources sont préservées dans la durée. Nourrie par cet exemple, l’économie circulaire propose de rompre avec l’économie dite linéaire, fondée sur le schéma traditionnel Extraire-Fabriquer-Consommer-Jeter. Rémy Le Moigne, président de Gate C – une société de conseil en économie circulaire, résume l’objectif de ce modèle de production et de consommation : « partager, réutiliser, réparer et recycler les produits et matériaux existants afin qu’ils conservent leur valeur le plus longtemps possible dans l’économie ».

Il est vrai que, face à l’urgence climatique et l’accroissement de la population, entraînant une exploitation plus vaste des ressources, ce changement d’approche offre des perspectives prometteuses. Dès 2014, les experts ont ainsi montré que le passage à l’économie circulaire se traduirait par l’élimination de 100 millions de tonnes de déchets au niveau mondial en à peine 5 ans1. De même, la consommation de nouveaux matériaux serait réduite à hauteur de 32 % d’ici quinze ans, et de 53 % à l’horizon 20502.

Un changement de modèle porté par les entreprises

Grands groupes comme petites entreprises, plusieurs acteurs économiques ont d’ores et déjà compris qu’ils avaient intérêt à participer à ce basculement. C’est ainsi qu’en 2017, 33 sociétés membres de l’Association française des entreprises privées (AFEP), issues de tous les secteurs d’activités, ont pris une série d’engagements en faveur de l’économie circulaire. Dans ce cadre, la Fnac a par exemple déployé un nouveau logo indiquant l’impact environnemental de ses téléviseurs, tablettes et PC et smartphones, tandis que L’Oréal s’est engagé à ne plus fabriquer de produits contenant du PVC. Quant au groupe Michelin, il se mobilise pour allonger la durée de vie de ses pneus et ainsi lutter contre l’obsolescence programmée : en recommandant un changement de pneus pour un niveau d’usure d’1,6 mm, il aurait permis d’éviter l’utilisation de 100 millions de pneus par an et de réduire les émissions de CO2 de 6,6 millions de tonnes en Europe3.

Dans un registre différent, on ne compte plus les start-ups qui investissent dans des solutions innovantes. L’économie du partage ou de l’usage, notamment, constitue un mouvement de fond qui ne cesse de s’amplifier au fil des années. Les modèles peuvent prévoir le partage de biens, avec par exemple Mutum, de services, à l’image de Sharevoisin, ou de compétences, comme les Talents d’Alphonse. Ils peuvent être à vocation commerciale (ex. AlloVoisins qui rémunère à la fois les utilisateurs et la plateforme) ou gratuit (par Mutum, qui ne fait gagner d’argent ni aux prêteurs ni à la plateforme).

Le législateur lui-même s’est saisi du sujet, au niveau européen comme français. L’Union européenne a ainsi adopté en 2015 un Plan d’action pour l’économie circulaire4 suivi par un second en 2020, mettant en avant les bénéfices économiques attendus : une augmentation du PIB européen de 0,5 % par an et la création de 700 000 emplois d’ici 20305. De même, en France, la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte (LTECV) de 2015, comme celle sur la lutte contre le gaspillage et l’économie circulaire de 2020 mettent en place diverses mesures incitatives pour favoriser les bonnes pratiques.

Pour François-Michel Lambert , président de l’Institut National d’Économie Circulaire et député de la 10e circonscription des Bouches du Rhône, « l’impulsion législative est essentielle, car les entreprises avancent au rythme du cadre politique ; malheureusement, le débat se limite aujourd’hui trop souvent à la question du recyclage. Alors que la véritable question est celle de l’efficience ».

Bénéfices économiques, standardisation et usage

Ainsi, si la législation et certaines entreprises ont permis des avancées notables, elles sont encore insuffisantes face à l’ampleur du défi. Si les spécialistes débattent encore de la stratégie à adopter, un point fait consensus : le premier frein est culturel. C’est un changement profond qui doit être opéré, notamment auprès des acteurs industriels – le secteur du BTP produit en France 230 millions de tonnes par an, soit 5 fois plus que les ordures ménagères6. « L’approche qui marche le mieux est de [leur] démontrer les avantages économiques de l’économie circulaire, souligne Rémy Le Moigne. Un directeur Achats doit savoir qu’adopter des stratégies circulaires, c’est réduire ses coûts tout en diminuant son empreinte environnementale. » Le spécialiste pense que la crise du Covid pourrait participer à la prise de conscience : « dans certains pays, les hôpitaux se sont dits qu’ils allaient remettre à neuf des anciens respirateurs. Cela a donné de formidables résultats. L’économie circulaire a montré que c’était une économie très résiliente et même souvent plus efficace. »

Autre piste : la clarification des normes. « L’une des principales raisons pour lesquelles on utilise peu de plastique recyclé est qu’on a du mal à évaluer sa qualité », explique Rémy Le Moigne. De même, alors qu’il existe un important marché du mobilier de bureau remis à neuf, celui-ci se développe faiblement en France. En cause ? Là encore, l’absence de normes venant assurer à l’acheteur que son bureau a suivi un processus strict et de qualité. Pour standardiser l’économie circulaire, les écolabels privés, à l’image de Longtime (sur la durabilité des biens de consommation), jouent un rôle important. « Ces labels créent une différence visible, synonyme de valeur ajoutée, remarque François-Michel Lambert. Ils représentent la possibilité pour les entreprises de retrouver, dans le monde économique actuel, les marges que leur coûte l’utilisation des bons produits, des bonnes pratiques, etc. ».

L’expert fait ainsi partie de ceux qui souhaitent aller plus loin, appelant à une transition vers une « économie de la fonctionnalité ». « Il est devenu indispensable de passer de l’acquisition à l’usage. Ne plus être propriétaire des produits, mais payer leur usage. Cela implique un meilleur partage des mêmes ressources. » Là encore, la prise de conscience et même la volonté exprimée par la société civile seront un préalable essentiel, notamment pour encourager toujours plus d’entrepreneurs à développer les solutions innovantes qui feront le monde de demain.

Notes —
1. Forum Économique Mondial « Aller dans le sens d’une économie circulaire : accélérer la montée en puissance à l’échelle des chaines d’approvisionnement mondiales », Rapport, janvier 2014
2. Ellen MacArthur Foundation et le McKinsey Center for Business and Environment, « Emergence intérieure : Une Vision d’Economie Circulaire pour une Europe Compétitive,» Fondation pour l’Economie Environnementale et la Durabilité. Juin 2015
3. https://www.novethic.fr/actualite/environnement/economie-circulaire/isr-rse/10-exemples-qui-prouvent-que-les-entreprises-sont-entrees-dans-la-boucle-de-l-economie-circulaire-146566.html
4. Commission européenne (2015). Closing the loop – An EU action plan for the Circular Economy. COM/2015/0614 final.
5. https://www.actu-environnement.com/ae/news/economie-circulaire-commission-europe-plan-35133.php4
6. https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/sites/default/files/2018-10/datalab-essentiel-96-btp-mars2017-b.pdf
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