La Tech for Good : entrepreneuriat et tech au service du bien commun

La Tech for Good : entrepreneuriat et tech au service du bien commun

Face aux immenses enjeux environnementaux, sanitaires ou encore sociaux de notre temps, les solutions disruptives propres aux innovations digitales constituent des armes plus que précieuses. Visant précisément à mobiliser les atouts sans équivalent des nouvelles technologies au service du bien commun, la démarche « Tech for Good » connaît depuis plusieurs années un essor impressionnant. Acteurs, enjeux, financement… le point sur ses dimensions clés.

La recherche du bien commun fait partie de l’ADN de l’innovation technologique depuis les prémices de la révolution digitale. S’il s’est sans doute éloigné de la forme imaginée par les précurseurs de la Silicon Valley durant les années 1970, le lien entre tech et bien-être n’a pas été rompu. L’Organisation des Nations-Unies l’a ainsi clairement évoqué en 2015 dans ses Objectifs de Développement Durable (ODD) : l’innovation et la technologie constituent des éléments clés « pour protéger la planète, éradiquer la pauvreté ou favoriser l’égalité homme-femme ». Trois ans plus tard, on retrouvera le terme programmatique de « Tech for Good » dans l’intitulé d’un sommet mondial organisé par le gouvernement français. Plus de 70 dirigeants internationaux des nouvelles technologies (parmi lesquels ceux de Google, Microsoft, Facebook et Huawei) mais également des grands groupes aux activités plus traditionnelles tels que BNP Paribas ou des startups (Uber, Doctolib) signent alors un appel à la « Tech for Good ». A la clé : des engagements en matière de lutte contre les contenus haineux, de « juste contribution » fiscale ou de réduction des émissions carbone.

GAFAM vs. Startups : des enjeux très différents

La variété des initiatives et structures pouvant être rattachées au sujet peut porter à confusion. La démarche est en fait clairement compartimentée en deux profils dont les enjeux environnementaux et sociétaux divergent fortement : d’une part, les mastodontes, au premier rang desquels les GAFAM, et de l’autre, les structures de taille plus réduite, avec notamment les startups spécialisées.

« Après la période d’euphorie des débuts du digital, on a pris conscience, durant les années 2010, que le monde de la tech n’était pas virtuel, mais bien physique, avec des externalités négatives significatives », souligne ainsi Sylvain Lambert, Associé responsable et co-fondateur du département Développement durable de PwC. Le matériel informatique (hardware) s’avère ainsi fortement consommateur d’énergie, mais aussi de terres rares, alors que ses conditions de fabrication méritent d’être attentivement surveillées. C’est ainsi qu’au cours des dernières années, la question des émissions du numérique n’a cessé de prendre de l’ampleur, certaines études allant même jusqu’à conclure que le secteur pouvait devenir à terme l’un des plus polluants. D’ici 2040, le seul stockage des données numériques pourrait ainsi représenter 14 % des émissions totales de la planète1.

Un basculement s’opère lorsque les grands acteurs du secteur comprennent qu’ils ont tout à gagner à s’inscrire dans une démarche « Tech for Good ». Sylvain Lambert se rappelle : « nous avons tous été frappés par une keynote d’Apple de 2018. Chose alors impensable : Laura Meadors, directrice sustainability, est venu vanter les mérites de l’allongement de la durée de vie des appareils ». Dans la continuité, en 2020, Sundar Pichai, le PDG de Google, annonce que son groupe sera le premier à devenir complètement « carbon neutral » et qu’il fonctionnera sans émettre de CO2 d’ici la fin de la décennie. La même année, Microsoft affirme son ambition de générer une empreinte carbone négative avant 2030.

Mais pour les acteurs Tech dont le cœur de métier porte directement sur la recherche du bien commun, la problématique se pose en des termes très différents. « Greentech » au service du climat, « Handitech » pour favoriser l’accès au marché de l’emploi ou une mobilité inclusive, « Civictech » pour améliorer sur la participation citoyenne au processus démocratique… Les multiples appellations donnent une idée de la variété des initiatives. Sylvain Lambert prend ainsi l’exemple de solutions destinées à optimiser la consommation d’eau afin d’améliorer la gestion des terres.« La technologie offre à l’agriculteur une estimation très précise de la météo, mais aussi de la quantité d’eau à pomper. A la clé, on observe un bénéfice économique pour les professionnels concernés comme pour la société dans son ensemble, avec une limitation du risque de stress hydrique ». Autre exemple, dans le registre social cette fois : le projet libre de données cartographiques du Web, OpenStreetMap2. Le principe ? Les contributeurs se chargent eux-mêmes de cartographier un territoire pour, par exemple, préciser l’accès aux personnes à mobilité réduite ou faciliter les trajets après une catastrophe naturelle (tsunami, tremblement de terre, etc.). Mais le domaine le plus prometteur reste probablement la « Healthtech ». Le secteur s’est amplement nourri des avancées décisives réalisées au cours des dernières années suite aux progrès de l’intelligence artificielle, à l’accès à des données massives de santé ou encore l’essor des modèles prédictifs. Rien qu’en France, le domaine rassemblait en 2020 plus de 2000 entreprises pour un chiffre d’affaires de 800 millions d’euros. Avec un potentiel de développement colossal : le gouvernement estime que ce chiffre pourrait atteindre 40 milliards d’euros en moins d’une décennie3.

La relation décisive entre acteurs industriels et startups

Mais les acteurs de la « Good Tech » seront-il en mesure de répondre aux (hautes) attentes placées en eux ? Comme pour toute innovation, l’une des clés tient dans leur capacité à disposer des moyens d’avancer, puis à décliner leurs produits à l’échelle industrielle. « La COP 26 l’a bien montré : pour relever les défis qui se présentent à nous l’argent public ne suffira pas, remarqueSylvain Lambert. Qu’elle soit médicale, scientifique, alimentaire ou technologique, l’innovation implique d’aller chercher, également, de nouvelles solutions d’investissement ».

Or une solution est aujourd’hui en plein essor : la mise en place de corporate venture. L’idée, pour un grand groupe, est d’aller chercher une partie de son innovation en externe – faire le choix non d’un centre de Recherche & Développement dédié, mais de structures plus petites, agiles et innovantes. Exemple : un groupe de gestion d’actifs immobiliers qui aurait besoin de mesurer en temps réel les pratiques de chauffage de ses biens, afin de réduire ses consommations d’énergie et son empreinte carbone. « La structure pourrait recruter des spécialistes et développer dans le temps la technologie nécessaire, mais il lui sera plus simple de repérer trois startups qui ont lancé des outils de tracking performants », explique le spécialiste. Investir dans une de ces structures avant d’éventuellement la racheter représente, pour l’entreprise, l’opportunité de gagner un temps précieux et de disposer de solutions innovantes, précisément adaptées à ces besoins Business. Quant à la startup, elle bénéficie d’un levier de croissance décisif.

Avec ces industriels en quête de sources d’innovation, la « Tech for Good » dispose ainsi d’un moyen de financement supplémentaire, dans une logique différente des investisseurs traditionnels. « L’idée n’est pas d’investir dans le but de réaliser à terme un bénéfice, mais de porter une vision stratégique de développement en se dotant de compétences et de sources d’innovation complémentaires ». A la clé : la conjonction d’un atout concurrentiel réel pour l’entreprise et d’un gain commun pour la société.

Notes —
1. https://www.ecowatch.com/digital-carbon-footprint-2655797250.html
2. https://www.openstreetmap.fr/
3. http://www.france-biotech.fr/wp-content/uploads/2021/02/pano-2020-final.pdf

Remonter la page