Hydrogène vert : un axe stratégique majeur pour les Etats

Hydrogène vert : un axe stratégique majeur pour les Etats

Après le charbon, le pétrole, le gaz… L’hydrogène ? Alors que les énergies fossiles semblent condamnées dans un avenir proche et que les cours du gaz naturel atteignent des niveaux records, les regards se tournent vers ce qui s’annonce comme un combustible clé de la transition énergétique. À l’image de la France qui a fait part en octobre de son ambition d’être le leader de l’hydrogène vert en 2030, le sujet, de l’Europe à l’Asie, de l’Amérique-du-Sud au Moyen-Orient, devient un enjeu stratégique majeur.

Après des années de déclarations d’intention, gouvernements et entreprise du monde entier prennent des actions concrètes en faveur de la décarbonation, dans un contexte réglementaire de plus en plus contraint. Le Graal ? Des solutions propres, applicables à grande échelle, permettant de répondre au défi climatique. Une description qui correspond parfaitement à l’hydrogène vert, qui ouvre d’immenses perspectives tant pour le stockage d’électricité, ses applications industrielles que pour propulser des voitures, navires et avions.

Les défis d’un usage massif de l’hydrogène vert

Markus Wilthaner, Partner chez McKinsey & Company, Hydrogen and batteries, Strategy and business building, n’en doute pas : « pour réaliser la transition énergétique, nous avons besoin de l’hydrogène à court et à long terme. Aujourd’hui, l’élan est réel : plus de 500 milliards de dollars d’investissements pourraient être réalisés d’ici à 2030, et plus de 350 projets à grande échelle ont été annoncés. Et le développement s’accélère : 130 de ces projets l’ont été durant le premier semestre de 2021 ».

Le grand défi ici est d’accomplir le passage à l’hydrogène vert, à l’heure où plus de 95 % de l’hydrogène utilisé dans le monde aujourd’hui est produit à partir de matières fossiles. Parvenir à décarboner l’hydrogène implique une forte montée en puissance de sa production par électrolyse de l’eau, que ce soit par énergie nucléaire, hydraulique, éolienne ou solaire. Le prix constitue là un enjeu clé. La bascule sera réelle quand les coûts des hydrogènes vert et gris se rapprocheront. Or, plusieurs indicateurs incitent à l’optimisme en la matière, avec notamment un événement significatif : lors de l’organisation d’enchères en août 2020 au Portugal, l’électricité solaire a atteint le prix historiquement bas de 11,14 €/MWh1 – soit une diminution de 80 % par rapport à la valeur obtenue lors de l’enchère 2019. Alexandru Floristean, Manager intelligence pour Hydrogen Europe considère qu’un jalon a ainsi été posé. « C’est la preuve qu’il est potentiellement possible, viable et crédible d’avoir des solutions à zéro émission moins chères que les solutions traditionnelles polluantes, basées sur les fossiles ».

Les défis sont aussi d’ordre technique, avec en particulier la problématique des infrastructures de transport de l’hydrogène. L’une des clés est l’établissement de connexions entre des territoires présentant une offre abondante (en raison de leur production d’énergie renouvelable) et ceux qui en expriment le besoin. Au sein même de l’Europe, il se révèlerait par exemple bien moins coûteux d’acheminer en Allemagne l’hydrogène produit à l’étranger, plutôt que directement sur place. C’est par ailleurs la solution choisie outre-Rhin pour atteindre les objectifs ambitieux fixés en matière d’utilisation d’hydrogène – et compenser l’arrêt du nucléaire d’ici à 20222.

Le volontarisme politique, un moteur indispensable

Quel chemin permettra de répondre à ces différents enjeux ? Sur ce point, les spécialistes s’accordent : les investissements nécessaires aux indispensables avancées techniques doivent impérativement s’inscrire dans un cadre propice. « Pour déclencher une demande d’hydrogène à grande échelle, on ne peut compter sur une percée technologique subite, précise Alexandru Floristean. Cette demande doit d’abord être impulsée par le politique. Imposer des objectifs sur l’utilisation de l’énergie renouvelable constitue un déclencheur majeur de demande. » C’est tout le sens de « Fit for 55 », soit 12 mesures, principalement des révisions de directives européennes et de règlements, destinées à permettre à l’Union européenne de réduire de 55 % ses émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030.

L’Union européenne en leader

L’Union européenne précise ainsi son ambition de jouer un rôle moteur dans la production et l’usage de l’hydrogène vert. En 2020, l’objectif a été fixé de faire de celui-ci une partie intégrante de son système énergétique, avec une capacité d’au moins 40 gigawatts d’électrolyseurs pour la production d’hydrogène renouvelable et une production allant jusqu’à 10 millions de tonnes d’hydrogène renouvelable. « L’Europe est définitivement en tête en termes de réglementation, d’ambition et d’annonces de projets précis », confirme ainsi Markus Wilthaner. Exemples d’initiatives concrètes : un quota-cible pour les carburants aéronautiques durables issus de l’hydrogène pour 2030 ou encore des objectifs de construction de stations de ravitaillement en hydrogène le long de toutes les grandes autoroutes. Dans la continuité, une place clé a été accordée à l’hydrogène au sein du programme de 800 milliards d’euros de l’Union européenne pour relancer l’économie.

C’est dans ce contexte que trente industriels européens ont annoncé début 2021 le lancement de « HyDeal Ambition ». Objectif : la production de 3,6 millions de tonnes d’hydrogène vert par an, puis sa distribution dans plusieurs pays européens (Espagne, France, Allemagne) via 7 000 kilomètres de canalisations – en réaménageant notamment des infrastructures gazières préexistantes.

L’idée est de produire dès 2022 un hydrogène vert issu de l’électrolyse de l’eau à partir de l’énergie solaire produite en Espagne. D’autres leviers seront prochainement activés. « D’un point de vue technologique, l’Europe dispose probablement des entreprises les plus performantes dans la production d’électrolyseurs, remarque Alexandru Floristean. Nous disposons des cartes en main pour nous affirmer comme les leaders mondiaux dans les moyens de production de l’hydrogène. Il en va différemment des applications finales, sur la mobilité par exemple, où les pays asiatiques sont en tête. »

A travers la planète, des stratégies adaptées aux spécificités

On touche là à une dimension clé de la montée en puissance de l’hydrogène : une stratégie unique ne saurait convenir à tous les pays. Celle-ci est à déterminer au regard notamment de la structure de l’industrie et du système énergétique, ainsi que des ressources disponibles (énergies renouvelables, stockage du gaz/carbone). « Tout le monde ne peut pas être l’Espagne ou l’Arabie Saoudite, souligne ainsi Alexandru Floristean. Vous devez savoir quels sont vos points forts et dans quelle partie de la chaîne de valeur vous voulez exceller ». Le spécialiste cite notamment l’exemple du Chili, un pays qui a clairement défini son positionnement : devenir le producteur d’une quantité massive d’énergie renouvelable pour l’exporter sous forme d’hydrogène. Bande de terre de 4 500 km de longueur, présence du désert d’Atacama disposant du rayonnement solaire le plus élevé du monde, vents puissants… Le Chili souhaite tirer parti de ses conditions climatiques exceptionnelles et variées pour développer sa capacité de production d’énergie renouvelable à des prix compétitifs. En améliorant le stockage de l’électricité, l’hydrogène lui offre l’opportunité d’ajuster l’offre et la demande.

Conscients de leur dépendance à la production et à la vente du pétrole, les pays du Moyen-Orient tels que l’Arabie Saoudite ou le Koweït cherchent eux à diversifier leur proposition économique. « Il se trouve que ces pays ont un potentiel incroyable pour produire de l’énergie renouvelable grâce à l’énergie solaire, remarque Markus Wilthaner. Or, pour le vendre à l’Europe ou à n’importe qui, l’hydrogène constitue une solution extrêmement pertinente, avec la possibilité de l’envoyer par pipeline ou sous forme d’hydrogène liquéfié. »

A d’autres régions, d’autres atouts. L’Asie occupe ainsi une position de leader sur le plan technologique, fruit d’un investissement massif pendant des années dans la recherche et le développement, en particulier dans les piles à combustible. De même, l’Allemagne peut s’appuyer sur les innovations technologiques de ses entreprises pour produire des piles à combustible. Le pays devra à cette fin transformer son industrie automobile pour s’éloigner des moteurs à combustion interne et se tourner vers les véhicules à émission zéro, les batteries et les piles.

A l’heure actuelle, 30 pays dans le monde ont ainsi élaboré des stratégies en matière d’hydrogène. « Nous constatons un grand élan aujourd’hui, mais nous devons encore accélérer le rythme du changement, souligne Markus Wilthaner. Plutôt qu’un chemin linéaire, c’est une route sinueuse, avec des virages et des montées qui nous attend, mais il existe de nombreuses opportunités d’investissement et de croissance. Et assurément, ceux qui prennent les devants et font preuve d’intelligence peuvent récolter des récompenses exceptionnelles. »

L’urgence climatique est une question que nous devons résoudre aujourd’hui. Grâce à une mobilisation des États, mais aussi des entreprises, et de tous les acteurs qui pourront accélérer le développement – et le financement – d’une économie décarbonée. Ensemble, nous pouvons construire un futur net zero. L’heure H a sonné !

Notes —
1. https://www.jornaldenegocios.pt/empresas/detalhe/leiloes-solares-baixam-fatura-da-luz-a-partir-de-2022
2. Ministère de l’économie, des finances et de la relance ; Direction générale du Trésor, Quelles stratégies allemandes pour l’importation d’hydrogène vert ?, Décembre 2020

Remonter la page